Pollution, chute des performances

Des travaux récents ont démontré que la pollution de l’air ne contribuait pas seulement à nous ruiner la santé. Elle affecte aussi nos chronos sur marathon. Retrouvez l’article complet dans le numéro 74 du Zatopek Magazine.

En novembre dernier, on apprenait que le marathon de Sydney entrait dans le cercle très fermé des World Marathon Majors. La ville australienne devenait ainsi la septième étape de ce prestigieux circuit. Ce sera aussi la course qui présentera le plus fort dénivelé (326 mètres) (*). A contrario, les participants bénéficieront sur place d’un air peu pollué. Or cela compte en matière de performance. En décembre 2024, une étude parue dans la revue scientifique Sports Medicine démontre en effet que la seule qualité de l’air peut expliquer des différences de l’ordre de plusieurs minutes à l’arrivée d’un marathon (1). Joseph Braun est épidémiologiste à l’Université Brown (Etats-Unis). Avec son équipe de chercheurs, il est arrivé à cette conclusion en croisant les données sur la pollution avec les résultats récoltés sur les neuf plus grands marathons américains: Boston, Philadelphie, Minneapolis-Saint Paul, Chicago, New York, Houston, Los Angeles, Duluth et Washington. Son étude couvrait toutes les années entre 2003 et 2019, soit plus de 140 éditions. Un travail de bénédictin! D’autant que les auteurs ne se sont pas contentés d’enregistre les temps des vainqueurs. Ils ont pris en compte tous les participants, soit 2,5 millions de temps d’arrivée. Pour établir des estimations détaillées des niveaux de pollution pour chaque borne kilométrique tout au long des parcours de ces neufs grands marathons, ils ont utilisé un modèle informatique basé sur l’intelligence artificielle capable d’intégrer les relevés des capteurs d’air présents un peu partout dans le pays ainsi que les données satellitaires et d’autres informations de type climatique ou topographique.

Bonjour microns

Les conclusions de ce travail sont sans appel. Oui, la pollution pénalise bien les coureurs. Oui, il s’agit d’un frein majeur. C’est surtout le cas pour les particules fines produites par les moteurs à combustion. Dans les articles scientifiques, on les désigne par deux lettres majuscules P et M (pour “particulate matter” en anglais) assorties d’un chiffre pour indiquer leur diamètre. Les PM2.5 mesurent ainsi moins de 2,5 microns de diamètre. C’est sur elles que s’est focalisée l’équipe de Joseph Braun. Car elles sont particulièrement nocives pour la santé. Leur petite taille leur permet en effet de pénétrer au plus profond du système ventilatoire puis de passer des poumons à la circulation sanguine où elles provoquent des inflammations qui augmentent le risque de maladies comme les cardiopathies, le diabète et les cancers. Selon l’OMS, les PM2,5 provoquent ainsi la mort d’environ quatre millions de personnes dans le monde chaque année (2). A présent, on sait qu’elles pénalisent aussi les marathoniens. Les chercheurs ont même pu mettre ce handicap en équation. Ainsi, les hommes perdaient 32 secondes en moyenne à chaque augmentation de la concentration en PM2,5 d’1µg/m3. Chez les femmes, l’écart descendait à 25 secondes. C’est énorme! Sur le marathon de Chicago par exemple, toutes choses étant égales par ailleurs, les temps moyens d’une année de faible pollution comme 2019 (3µg/m3) étaient environ huit minutes plus rapides que ceux d’une année à forte pollution comme 2011 (20µg/m3).

Au nom de tous les moyens

Comment expliquer un tel impact? Les auteurs de l’étude se contentent d’évoquer des pistes et citent notamment le surcroit de ventilation. A l’effort, on respire de plus grandes quantités d’air, jusqu’à 150 litres par minute à la place d’environ 5-10 litres au repos. Forcément, cela augmente aussi la mise en contact avec les particules fines. De plus, cette respiration s’effectue essentiellement par la bouche et contourne de ce fait le système de filtration nasale (poils, mucus protecteur) qui, autrement, capterait certaines de ces particules nocives. Cela expliquerait en partie l’immédiateté des effets sur le métabolisme alors qu’on pensait précédemment que les fruits vénéneux de cette pollution devaient impérativement s’étaler dans le temps. Lors d’un effort intensif, il semble ainsi que la présence de ces particules fines dans le sang suffise à produire une constriction des vaisseaux et donc un appauvrissement de l’apport d’oxygène aux muscles qui pénalise la performance. Bien sûr, tous les sportifs ne réagissent pas de la même façon. C’était d’ailleurs l’objet d’une recherche annexe au travail principal: déterminer qui, des coureurs lents, des coureurs moyens ou des plus rapides, étaient le plus affectés par la pollution. Les premiers courent plus longtemps. Les autres respirent de plus grands volumes d’air vicié. La question était donc ouverte. Finalement, il est apparu que ce sont les coureurs moyens qui pâtissent le plus de cette pollution de l’air, ceux qui terminent le marathon après quatre à cinq heures d’effort soutenu. Comment l’expliquer? Les chercheurs ne l’expliquent pas. On se trouve donc contraint de reprendre notre précédent raisonnement en changeant légèrement de perspective. Un temps d’exposition plus court protégerait les coureurs les plus rapides tandis que les coureurs les plus lents, soit au-delà de cinq heures d’effort, seraient épargnés par une respiration moins profonde. Ils se pourraient aussi que les coureurs les mieux entraînés supportent mieux l’inconfort respiratoire (3). On sait en effet qu’une excellente forme diminue le risque d’inflammation tissulaire et pourrait ainsi jouer un rôle protecteur face à la pollution. Les pistes à explorer sont nombreuses. L’intérêt principal de cette étude réside dans le fait qu’elle montre qu’en plus du dénivelé, du tracé plus ou moins sinueux, du vent ou encore de la température, les effets de la pollution se font ressentir sur les chronos même à des niveaux modestes. Anouk Ramaekers

(*) A titre d’information, voici les dénivelés positifs des autres marathons du circuit des Majors: Berlin (73 mètres), Boston (248 mètres), Chicago (74 mètres), Londres (248 mètres), New York (246 mètres), Tokyo (60 mètres).

Références

(1) Running on Fumes: An Analysis of Fine Particulate Matter’s Impact on Finish Times in Nine Major US Marathons, 2003-2019, dans Sports Medicine, décembre 2024

(2) “Qualité de l’air ambiant (extérieur) et santé”, paru sur who.int le 24 octobre 2024

(3) “Why even a little bit of air pollution slows you down”, paru sur outsideonline.com le 9 janvier 2025

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