Y a-t-il un flic pour sauver le climat ?

Malgré toutes les mises en garde, on continue chaque année à consommer un peu plus de pétrole que les années précédentes. Cela paraît dingue. Mais le pétrole nous a conduit dans un état de dépendance comme aucune autre drogue dans l’histoire. On en a besoin pour tout : manger, se loger, se nourrir, voyager et même faire du sport !

Jean-Marc Jancovici (61 ans) est un personnage assez inclassable. Il est né dans une famille de scientifiques. Son père Bernard (1930-2013) était professeur de physique à l’Université d’Orsay et spécialiste des lois de Coulomb, une branche de la recherche en électrostatique à laquelle peu de gens comprennent quelque chose. Encore aujourd’hui. Lui-même a accompli de brillantes études à l’Ecole polytechnique (1981) et à l’Ecole nationale supérieure des télécommunications (1986). Il enchaîne alors avec quelques expériences professionnelles peu concluantes, notamment dans la production cinématographique, avant de découvrir le concept d’anthropocène au milieu des années 90. En 2000, il rejoint l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et développe en son sein une méthode, appelée « bilan carbone » qui permet de quantifier la production de gaz à effet de serre dans l’industrie. En 2007, il fonde une société de conseil appelée « Carbone 4 », puis « The Shift Project » en 2010, un « think tank » pour réfléchir à ces matières (changement climatique, épuisement des réserves) et guider les choix politiques. Ajoutez-y une page facebook et site internet (jancovici.com) extrêmement fréquentés. Au fil des dernières années, Jean-Marc Jancovici a vu sa notoriété grandir à mesure que ces matières devenaient de plus en plus prégnantes dans la société: Aujourd’hui, il fait clairement partie des intervenants les plus sollicités grâce à sa manière d’exposer les choses de façon claire, imagée, parfois drôle et sans concession. En résumé, oui, on va dans le mur. Oui, le nucléaire pourrait nous permettra d’amortir le choc. Non, la croissance ne peut se prolonger éternellement. Non, on ne s’en sortira pas sans une profonde remise en question de nos modes de vie. Reste à savoir si celle-ci sera anticipée par la prise d’une série de décisions rationnelles ou subie dans la douleur. Il explique tout cela très clairement dans ses livres (*) ainsi que dans une bande dessinée (en collaboration avec Christophe Blain) intitulée Le Monde sans fin qui a connu un énorme succès dans les librairies. Avec plus de 500.000 exemplaires, i fut tout simplement le livre le plus vendu de l’année 2022.

(*) Lire notamment Dormez tranquilles jusqu’en 2100 (éd. Odile Jacob, 2015).

Par le passé, il arrivait que des sportifs refusent de prendre l’avion. Mais c’était toujours pour cause d’aviophobie. Depuis peu, on en trouve aussi qui renoncent pour des raisons écologiques. C’est le cas de la jeune athlète britannique Innes FitzGerald, absente des derniers championnats du monde de cross en Australie, alors qu’elle comptait parmi les favorites de l’épreuve junior. Qu’est-ce que cela vous inspire?
Je ne suis pas surpris par son profil. Il s’agit d’une fille. Elle est jeune et britannique. Ces trois caractéristiques ont sans doute joué dans son choix. La jeunesse, tout d’abord. De façon générale, les jeunes sont plus concernés que les vieux par l’état du monde. Normal. Ils devront aussi l’habiter plus longtemps. Ensuite, le fait que ce soit une fille. Je n’ai pas fait d’étude sur la question mais j’ai l’impression que les femmes s’engagent plus facilement que les hommes dans le militantisme du quotidien. Et de façon plus radicale. Puis il y a le fait d’être britannique. Objectivement, on observe au Royaume-Uni une prise de conscience des enjeux climatiques plus développée que dans les pays voisins, notamment la France. C’est en Grande-Bretagne qu’on trouve, par exemple, l’un des journaux les plus engagés dans la lutte contre le réchauffement: The Guardian.

Innes FitzGerald n’est pas la seule. On retrouve cette même réticence à se déplacer encore en avion chez des traileurs comme l’Espagnol Kilian Jornet et le Français Xavier Thévenard. Puis il y a l’exemple frappant du Britannique Andy Symonds qui a renoncé à participer aux championnats du monde de trail en Thaïlande l’année passée pour ne pas ajouter quatre tonnes de CO2 à son bilan carbone personnel.
Autour de moi aussi, je vois de plus en plus de gens qui font pareil. Ils calculent leur bilan carbone personnel. Ensuite, ils réfléchissent aux moyens de le réduire. C’est étonnant parce que, quand j’ai mis la méthode au point, il y a une vingtaine d’années, je n’imaginais pas qu’elle puisse avoir un jour cette répercussion-là. A la base, nous cherchions un outil pour aider l’industrie à limiter leur impact sur l’environnement. La déclinaison individuelle est plus récente (*). Avec l’exemple de ce traileur britannique, on voit qu’elle peut jouer sur la motivation et nous inciter à être plus sobres. Tant mieux! Cela dit, ces comportements restent des cas très isolés. L’immense majorité des sportifs de haut niveau font l’exact inverse: ils parcourent le monde en avion sans se soucier le moins du monde des questions climatiques.

L’exemple le plus étonnant, c’est peut-être le pilote allemand Sebastian Vettel, quatre fois vainqueur du championnat de Formule 1. Lorsqu’il a annoncé sa retraite en 2021, il a fait lui aussi une sorte de « coming out » climatique: « une partie de ma passion, de mon travail s’accompagne de choses dont je ne suis pas fan, évidemment: voyager dans le monde, faire des courses de voitures, brûler ses ressources, littéralement ».

Les sports moteurs ne sont plus vraiment en concordance avec leur temps, c’est vrai. On parle de sobriété, de ralentissement économique. Ils font tout l’inverse. A titre personnel, je ne suis pas fan. Pas seulement pour des raisons écologiques, du reste. Il y a aussi le fait que, dans ces disciplines, le matériel prime sur le talent des individus. Je ne considère pas les sports moteurs comme véritablement sportifs même si je suis sûr que ces pilotes sont d’excellents athlètes. C’est plutôt sur le plan sémantique que cela me turlupine.

Les sports moteurs se présentent souvent comme des laboratoires technologiques où parfois des innovations sont tentées qui servent ensuite dans le grand public. C’est le cas des freins à disque, par exemple.
C’est possible. Mais lorsqu’on tient ce type de raisonnement, il ne suffit pas d’affirmer que telle ou telle découverte a été réalisée dans un cadre sportif. Il faut pouvoir assurer en outre qu’elle ne se serait pas faites hors de ce cadre sportif. Et là, j’ai un gros doute (**).

Et les autres disciplines? Dans la bande dessinée Le Monde sans fin, Christophe Blain vous présente comme un « sportif de la mort ». Il vous dessine en train de faire du ski, du vélo et de gravir des montagnes.
(Sourires) Non, là, il a clairement survendu le personnage. Je ne suis pas du tout « un sportif de la mort ». Je fais un peu de marche, un peu de course à pied, un peu de ski, un peu de vélo. Rien de très épatant. En fait, le sport ne m’intéresse pas beaucoup. Ni pour moi, ni pour les autres. Je ne crois pas avoir assisté à une seule rencontre sportive dans ma vie. Peut-être un match de foot, il y a très longtemps…

Récemment, le magazine de course à pied Zatopek a monté un circuit intitulé Trail by Train Tour ou TTT, qui fait la promotion des épreuves de trail que l’on peut rejoindre en train (***). Qu’en pensez-vous?
C’est une excellente initiative. Les traileurs sont presque tous des amoureux de la nature. Lorsqu’ils se déplacent sur les lieux d’une course avec leur voiture personnelle ou, pire encore, en avion, ils participent à son saccage. Qu’ils prennent le train, c’est plus cohérent.

Du côté des organisateurs aussi, les choses sont en train de bouger. Certains trails font déjà leur bilan carbone, parfois de façon très méticuleuse (lire encadré).
Faire le bilan carbone d’un événement sportif ne pose pas de problème insurmontable. Bien sûr, il faut d’abord recueillir des données sur la base d’un échantillon représentatif de l’ensemble des participants. Il faut aussi maîtriser les outils de conversion. Aujourd’hui, ces données sont facilement accessibles. On peut ainsi savoir avec précision combien une voiture dégage de CO2 selon le type de moteur et la cylindrée. Même chose pour les autres moyens de transport. On obtiendra ainsi une idée de l’impact global de l’événement en tonnes équivalent carbone. La question qui suit est évidemment: qu’est-ce qu’on en fait?

Cela peut servir pour se fixer des objectifs. Un exemple? L’organisation des Jeux de Paris en 2024 a promis de ne pas dépasser 1,5 million de tonnes de CO2 et de contrebalancer intégralement cette pollution par de la compensation volontaire. Certains parlent alors de « neutralité carbone ».  
Je ne suis pas d’accord avec cette expression. Pour deux raisons. D’abord, parce qu’on parle de compenser dans le futur des pollutions qui, elles, existent déjà. Cela pose un problème de temporalité. L’autre souci -plus grave encore-, réside dans le principe même de la compensation. Elle donne l’impression qu’il existe un moyen de s’accommoder de la pollution générée par notre mode de vie et donc qu’on pourra continuer de fonctionner à l’avenir en surutilisant des combustibles fossiles comme on le fait aujourd’hui. Pourtant, non! On ne pourra pas s’abstraire aussi facilement du problème. Des changements beaucoup plus importants sont amenés à se mettre en place et le défi qui nous est proposé est de les anticiper du mieux qu’on peut pour éviter que les chocs ne soient trop violents lorsqu’ils surviendront. On ne résout pas le problème en plantant des arbres.

Il ne s’agit pas seulement de planter des arbres. Certains de ces crédits sont affectés à la préservation d’espaces verts sur la planète.
Dans ce cas-là, il faudrait dire « contribution » écologique et pas « compensation ». Les mots ont leur importance! Une contribution n’exonère personne de faire des efforts pour abaisser sa propre participation à la pollution générale. Une compensation, si. De plus, il faudrait être sûr de l’efficacité réelle de ces programmes de préservation de la nature et l’on sait le peu de crédit de certains labels.(Extrait du numéro 198 – Sport et Vie)

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