VERLAINE APPELAIT RIMBAUD « L’HOMME AUX SEMELLES DE VENT ». AUJOURD’HUI, CEUX QUI DONNENT CETTE IMPRESSION DE FILER COMME LE VENT SONT PLUTÔT ÉQUIPÉS DE CHAUSSURES HIGH-TECH AVEC DES SEMELLES DE CARBONE INTÉGRÉES. ON LES A ESSAYÉES !
Ces dernières années, World Athletics a modifié plusieurs fois son règlement concernant les chaussures de course à pied dans le but de freiner la surenchère technologique qui remet en cause le principe d’égalité des chances au départ des courses. Désormais, pour homologuer un record, les athlètes ne peuvent plus utiliser de chaussures qui n’auraient pas été commercialisées dans un délai de douze mois après leur conception. Des modèles non commercialisés restent éligibles à la compétition à condition d’avoir été préalablement validés par une commission ad hoc désignée par World Athletics. Cette mesure vise clairement à limiter l’usage des prototypes. A ce critère s’en ajoute un autre, adopté le 30 avril 2020, qui stipule que la semelle ne peut pas dépasser quatre centimètres d’épaisseur pour une pointure 42 et ne pas comporter plus d’une plaque rigide. Petite précision : cette plaque peut être constituée de plusieurs morceaux mais à la condition de rester sur un même plan. Sebastian Coe, président de World Athletics, justifiait ainsi ces décisions. « Il est de notre devoir de préserver l’intégrité des compétitions d’élite en nous assurant que les chaussures portées par les meilleurs athlètes ne confèrent pas un avantage injuste » Cette prise de parole ressemble très fort à celle de la Fédération internationale de natation (FINA) qui, en janvier 2010, avait interdit l’usage des maillots de bain en polyuréthane, redonnant ainsi plus de crédibilité aux performances. World Athletics espère bien sûr refaire le même coup. Mais ce n’est pas gagné. Trop d’incertitudes planent encore sur les modalités de fonctionnement de ces nouvelles chaussures et la nature des gains qu’elles procurent. S’ils existent !
La Révolution d’Octobre
L’idée n’est pas nouvelle. Cela fait des décennies que les fabricants de chaussures de course cherchent le moyen de restituer en phase d’envol l’énergie emmagasinée lors de l’écrasement de la semelle à la réception du pied sur le sol. Selon toute vraisemblance, ils auraient même été assez nombreux à penser à l’introduction d’éléments solides dans la semelle jusqu’à ce que, finalement, les ingénieurs de Nike trouvent la bonne formule il y a quelques années. On se souvient notamment de la démonstration faite en octobre 2019 selon laquelle, grâce à ces nouvelles chaussures, il devenait possible de descendre sous les deux heures au marathon. Cela se passait à Vienne, en Autriche. Le Kényan Eliud Kipchoge s’était chargé du travail. Mais les véritables stars de la journée étaient ses chaussures baptisées Alphafly. La performance n’a pas été homologuée pour diverses raisons. Peu importe. Elle avait été organisée pour marquer les esprits et prendre place au sein d’une séquence complètement dingue avec des records qui tombaient de partout, que ce soit au niveau national ou international. Aussitôt, les autres marques s’engouffrèrent dans la brèche et l’on a vu apparaître des chaussures de plus en plus hautes et de plus en plus bondissantes. D’où l’intervention des autorités mentionnée au début de l’article. Seulement, le problème est plus complexe encore que celui rencontré en natation avec la polémique sur les maillots couvrants. Car on ne sait pas à quoi attribuer le surcroît d’efficacité dont se targuent ces nouvelles chaussures. On ne sait même pas le quantifier précisément. Lors de la sortie de son premier modèle à lame de carbone (Vaporfly), Nike annonçait une amélioration du rendement de 4% par rapport aux chaussures classiques. Cette estimation a plus ou moins été confirmée ensuite par les résultats d’une large enquête parue dans le New York Times en décembre 2019 sur base de l’évolution des performances de milliers de marathoniens sur plusieurs années. L’étude américaine démontrait aussi qu’il n’était pas nécessaire d’appartenir à la caste des coureurs d’élite pour bénéficier des avantages de ces semelles carbone. Même les coureurs « moyens » pouvaient en profiter.
D’autres spécialistes sont évidemment plus circonspects à l’instar du physiothérapeute canadien Blaise Dubois, le fondateur de La Clinique du Coureur. « L’économie n’est pas améliorée de 3 à 4% comme le disent les annonceurs. Ce serait plutôt entre 1 et 1,5% », explique-t-il. « De plus, cela varie selon les individus » (2, 3). Son hypothèse ? Ces chaussures avantageraient surtout ceux qui sont dépourvus d’une bonne « qualité de pied », comme disent les entraîneurs (*). Grâce à ces chaussures, ils se hisseraient ainsi au niveau de ceux qui possèdent naturellement ce don et qui n’ont donc pas besoin d’artifice pour rebondir sur la piste. L’idée est séduisante. Mais Kipchoge alors ? A priori, il fait partie de ceux qui ont tiré profit de l’innovation, non ? Grâce à elle, il a explosé son record du marathon. Est-ce que cela signifie qu’il faisait préalablement partie des mauvais coureurs, ceux qui sont dénués de cette fameuse qualité de pied ? « Sûrement pas », reprend Blaise Dubois qui se lance alors dans une réinterprétation culottée du défi « Breaking 2 ». A ses yeux, les avantages que procurent la voiture meneuse, le relais des lièvres placés en triangle autour de lui, les ravitaillements assurés par des tiers, la marque lumineuse sur le sol, bref tout cela suffisait amplement pour que Kipchoge descende sous les deux heures. Plus fort encore ! Il prétend qu’avec d’autres chaussures que ces Alphafly, il aurait réalisé un chrono encore meilleur, soit 1 heure, 58 minutes et 30 secondes selon ses calculs. En clair, les plaques de carbone l’auraient ralenti. Empressons-nous de dire ici que l’analyse de Blaise Dubois ne fait pas l’unanimité dans les rangs des spécialistes. Elle nous sert seulement à démontrer la difficulté de se faire un avis tranché sur les supposés bénéfices de ces nouveaux modèles.
On les a toutes essayées
Plutôt que de passer toutes les théories savantes en revue, nous nous sommes dit que le meilleur moyen de se faire un avis sur ces chaussures, c’était de les essayer. Nous avons donc testé nous-mêmes différents modèles et sondé parallèlement plusieurs spécialistes, athlètes et revendeurs expérimentés. Pour cette petite enquête, quatre modèles ont été retenus. Les plus présents sur le marché pour concurrencer Nike : la Hoka Rocket X 2, l’Adidas Adizero Adios Pro 3, l’Asics Metaspeed Sky+ et la Saucony Endorphin Pro 3. La première chaussure technologique de Decathlon faisait aussi partie du lot. Mais comme elle ne tire pas vraiment dans la même catégorie que les quatre autres, on l’a traitée séparément (lire encadrer). Pour procéder à une analyse rigoureuse, les critères d’évaluation ont été divisés en trois grandes familles : 1/ les infos objectives (prix, poids, drop), 2/ les infos subjectives (impressions, stabilité, confort), 3/ enfin et surtout, la question princeps de l’effet rebond et du rendement. (Extrait du numéro 67 – Septembre 2023)
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