Comme georges brassens, la course à pied jouit d’une mauvaise réputation. On l’accuse d’aggraver les maux de dos ou même carrément de les provoquer. Tout le monde la montre du doigt. Sauf les manchots, cela va de soi.
La course à pied accroît-elle le risque de se faire mal au dos? Posez la question autour de vous. Vous verrez que la majorité des réponses ira dans ce sens. Même parmi les kinés et les médecins, on a tendance à mettre en garde contre sa pratique alors qu’en réalité, elle ne mérite pas autant de déshonneur.
La cause? Disons que plusieurs choses jouent en sa défaveur. A commencer par l’hérédité! Dans les enquêtes sur la genèse des lombalgies, on estime l’influence de la génétique à hauteur d’environ 70%. Cela veut dire que les habituels facteurs de risque pointés du doigt comme le tabagisme, la sédentarité et le surpoids n’expliquent pas l’ensemble des atteintes. Loin de là! C’est même une grande injustice. Certaines personnes souffrent du dos alors qu’elles ont une hygiène de vie irréprochable, tandis que d’autres sont épargnées alors qu’elles font pourtant tout l’inverse de ce qui est classiquement recommandé. Ces personnes lombalgiques paient simplement le fait d’avoir tiré le mauvais numéro à la grande loterie génétique du début de la vie. Première explication.
La deuxième est encore plus pernicieuse. Mais il arrive que la course aggrave les douleurs d’une lésion préexistante. Du moins, c’est l’impression qu’on s’en fait. Voilà pourquoi on déconseille sa pratique en cas de crise. Et lorsqu’on n’est pas en crise? Alors, là, c’est très différent. La course ne mérite plus tous ces anathèmes. Au contraire!
Dans le langage courant, on parle du mal de dos comme s’il s’agissait d’une entité. En réalité, on devrait toujours mettre cette locution au pluriel et donc parler de «maux de dos» tellement il existe de causes possibles de dysfonctionnement. Il faut dire que le montage est complexe. Une colonne vertébrale, c’est 33 pièces qui s’emboîtent les unes dans les autres grâce à un système de facettes à l’arrière et de disques à l’avant. A cela, il faut ajouter l’action de dizaines de ligaments, de muscles et de tendons. «Une colonne vertébrale, c’est comme si on empilait 33 genoux ou 33 coudes les uns par-dessus les autres», s’amuse le professeur Jean- Charles Le Huec (Université de Bordeaux) dans le dernier hors-série de Sport et Vie (1). Alors, oui, il arrive que cela grippe un peu! Au hasard des consultations, on rencontrera alors toutes sortes de problèmes qui vont de la simple entorse à des atteintes neurologiques graves, accompagnées parfois de pertes de force ou de paralysie. (…) A l’avant de la colonne, le paysage est très différent. Les corps vertébraux ne sont pas équipés de facettes mais reposent les uns sur les autres en étant séparés chaque fois par un disque souple chargé d’amortir les chocs et de permettre certains mouvements de flexion et de rotation. Problème! Pour des raisons essentiellement génétiques, ces disques ne conservent pas toujours leurs merveilleuses qualités au fil des années. Avec le temps, ils s’assèchent. Ils durcissent. Ils s’écrasent. Parfois même, ils se déchirent. Voilà comment naissent les hernies discales, malheureusement très répandues dans notre société, et à l’origine de nombreuses sensations inconfortables, avec des élancements dans les fesses et les jambes lorsque les gros nerfs qui courent dans la région se retrouvent pincés, étirés ou même brûlés par l’acidité ambiante. (…) Voilà quelques causes possibles de ces maux de dos qu’on doit toujours utiliser au pluriel. Très souvent, ceux-ci s’installent pour plusieurs semaines, parfois même pour des mois ou des années. Puis ils disparaissent aussi mystérieusement qu’ils étaient apparus. Par quel miracle? A force d’être maltraités, certains nerfs finissent par mourir et cessent donc de véhiculer leurs messages douloureux. Parfois, ce sont les muscles qui fondent, les tendons qui s’atrophient, les vertèbres qui fusionnent. Cette ankylose progressive nous confère cette posture de plus en plus figée, typique des vieilles personnes. On perd de la souplesse, oui. Mais on ne souffre plus! C’est déjà quelque chose.
Evidemment, on préférerait ne pas seulement s’en remettre au temps qui passe pour se débarrasser d’une lombalgie. Pour cela, on a tout essayé. Tailler au bistouri les protubérances discales? Echec! Injecter des produits pour détruire la protrusion? Nouvel échec! Lorsque les vertèbres elles-mêmes menacent de s’effondrer, on recourt parfois à une technique dite de cimentoplastie qui consiste à injecter une sorte de ciment pour solidifier les corps vertébraux. Si c’est le disque qui gémit, on optera plutôt pour l’opération classique dite d’arthrodèse qui consiste à fixer les vertèbres entre elles et empêcher le cisaillement. Le résultat est souvent spectaculaire. Le patient arrive à la clinique plié en deux par la douleur et il en ressort en claquant des talons! Malheureusement, les récidives sont fréquentes. D’autres déséquilibres risquent effectivement de survenir au-dessus ou en dessous de cette cage. (…)
La course à pied présente plusieurs atouts pour éviter ces aléas chirurgicaux. Et cela pour plusieurs raisons. D’abord, elle protège de la prise de poids. Or la corpulence joue un rôle clé dans la genèse des lombalgies. Clairement, les gros ont plus souvent mal au dos que les maigres. C’est sans doute une question de pression sur les disques liée aux masses corporelles supérieures, mais pas seulement. Car on remarque le même phénomène d’usure prématurée au niveau des autres articulations comme celles des mains et des pieds. On subodore d’autres causes.
Par exemple, une surproduction des graisses oxydées. Quoi qu’il en soit, la course est favorable. D’autant qu’elle renforce aussi les muscles du gainage: abdos, dorsaux et muscles profonds. Cette tonicité du tronc, indispensable pour courir efficacement, limite du même coup les forces latérales qui s’exercent sur les vertèbres à l’origine de nombreuses lombalgies. Une bonne musculation des jambes permet aussi d’amortir les forces qui s’exercent sur le rachis.
Enfin et surtout, la course à pied entraîne un «effet éponge» tout à fait favorable aux disques. Lors de l’effort, ceux-ci s’écrasent légèrement à chaque réception du pied sur le sol. Leur taille diminue. On peut perdre jusqu’à deux centimètres à l’arrivée d’un marathon. Cela ne dure pas. Au repos, ils se regonflent par aspiration des fluides environnants, ce qui leur permet d’assimiler du même coup les nutriments nécessaires à leur bonne santé. Cet effet éponge est d’autant plus précieux qu’on sait que les petits trous par lesquels se font ces échanges liquides ont tendance à s’obstruer avec l’âge. Le fait de courir régulièrement assure cette fonction d’entretien qui garantit aux disques d’atteindre leur longévité maximale déterminée par l’hérédité.
Dernier conseil: il faut changer souvent de revêtement pour garantir l’efficacité et la pérennité de cet effet éponge: piste, asphalte, sentier, pelouse, tapis. Variez les plaisirs!
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Tous les trois mois, le magazine Zatopek fait la démonstration qu’on peut parler de course à pied de façon surprenante, instructive, drôle et même émouvante quelques fois. À découvrir absolument pour tous ceux qui sont déjà coureurs. Et tous ceux qui ambitionnent de le devenir.