À la conquête de l’économie de course : existe-t-il une meilleure façon de courir ?

Esthétisme de la foulée ? Cadence ? Type d’appui ou temps de contact au sol ? Quels sont les secrets d’une technique de course économe ? Zatopek Magazine a mené l’enquête.

 

Existe-t-il de bonnes et de mauvaises façons de courir et comment les discriminer les unes des autres pour enfin donner aux athlètes des conseils utiles ? Ce sont les questions auxquelles, dans cet article, nous allons tenter d’apporter une réponse.

L’humain dépasse les autos

Avant toute chose, il faut s’entendre sur le concept d’efficacité mécanique ou “d’économie de course” comme on l’entend plus souvent dans le milieu de l’athlétisme. Pour cela, il faut imaginer notre corps comme une machine, capable de transformer en mouvements l’énergie apportée par les aliments.

L’efficacité mécanique représente la proportion d’énergie utile par rapport à l’énergie dépensée. Chez le coureur, l’énergie provient de la transformation des nutriments (glucides, lipides et protéines) en un mouvement, celui de courir, exactement comme le carburant permet à une voiture de faire de la route. En pratique, l’efficacité des coureurs oscille entre 20 et 25 %. Là encore, on est proche des autos. La différence ? Notre corps est une machinerie bien plus complexe que les moteurs mécaniques. Nous sommes capables en effet d’adapter notre gestuelle aux conditions environnementales et, en l’occurrence, d’optimiser nos performances grâce à l’entraînement.

Place aux sobres en course à pied !

Dans le monde de la course à pied, on prête à juste titre une très grande importance à l’économie de course. Pour l’évaluer, les chercheurs utilisent un indicateur précis : la consommation d’oxygène (VO₂). On part alors du principe qu’à vitesse donnée, plus la consommation d’oxygène est faible, plus la dépense énergétique est basse et meilleure sera notre économie de course.

Pour illustrer concrètement ce concept, prenons l’exemple d’un coureur qui se déplace à une vitesse de 15 km/h, ce qui correspond à un rythme soutenu de 4 minutes au kilomètre. Un athlète peu économe pourra alors consommer jusqu’à 52-55 millilitres d’oxygène par kilogramme de poids corporel par minute (mL d’O₂/kg/min), alors qu’un coureur très économe n’en utilisera pas plus que 45-48. Cette différence de 15 % peut sembler modeste. Pourtant non ! C’est même un gouffre en termes de performance !

Dans la plupart des épreuves, les victoires et les défaites se jouent sur des marges étroites de l’ordre de la minute, de la seconde ou même des fractions de seconde. Alors, si dans la population générale la VO₂ max reste le principal facteur prédictif de performance, l’économie de course se révèle décisive dès que s’affrontent des concurrents aux qualités cardiorespiratoires similaires. Or c’est le cas à mesure qu’on se rapproche du haut niveau.

Partant de là, on comprend la fascination des passionnés de course à pied pour ce critère particulier. Dans les clubs d’athlétisme et sur les forums spécialisés, il fait régulièrement l’objet de vives discussions autour des “secrets” d’une foulée parfaite : faut-il privilégier l’attaque sur l’avant ou l’arrière du pied ? Faut-il réduire ou augmenter la cadence des foulées ? On oppose tous ces arguments sans véritablement remettre en cause l’idée même qu’il existe une technique universelle optimale. Peut-être le devrait-on !

Plein de champions à la foulée inesthétique

L’histoire de l’athlétisme est remplie de coureurs à la technique inesthétique qui ont pourtant été auréolés de succès. On pense évidemment à Emil Zatopek, surnommé “la Locomotive tchèque” tant son style était saccadé et ses grimaces expressives de grande douleur évoquaient un broyage du corps. “Je ne suis pas assez doué pour courir et sourire en même temps”, disait-il.

On pense aussi à l’Ethiopien Haile Gebrselassie dont le bras gauche était toujours plus fléchi que le droit. Le déroulement de ses pieds sur le sol était lui aussi très étonnant, avec une hyperpronation particulièrement prononcée. Et que dire de Paula Radcliffe qui hochait bizarrement la tête en courant ?

La technique unique de ces trois athlètes ne les a pas empêchés de briller au firmament du sport mondial ce qui donne à penser qu’effectivement l’efficacité prime sur l’esthétique. Mais alors, si on ne peut pas se baser sur l’impression d’aisance que dégage tel ou tel coureur, quels sont les paramètres d’évaluation de l’économie de course que l’on peut prendre en considération ?

La règle de trois

En fait, les études démontrent que les facteurs traditionnellement considérés comme déterminants — l’esthétique de la foulée, la cadence, le type d’appui, les temps de contact et même les angles articulaires — ne le sont pas (voir l’édition février-mars-avril de Zatopek Magazine pour plus de détails). Reste une question cruciale : quels sont donc les véritables secrets d’une foulée efficace ? La recherche moderne a identifié trois caractéristiques fondamentales qui distinguent les coureurs économes en énergie.

1. La stabilité

La première découverte majeure concerne l’oscillation du centre de masse, ce point théorique qui représente en quelque sorte le “centre de gravité” de notre corps.

Les coureurs les plus efficaces maintiennent une remarquable stabilité de leur centre de masse pendant la course. Imaginez une ligne horizontale : plus la trajectoire du centre de masse s’en rapproche, moins le coureur gaspille d’énergie en mouvements verticaux inutiles.

Cette caractéristique est particulièrement visible lors des finales olympiques de demi-fond, où les caméras au ralenti révèlent que la tête des athlètes — bon indicateur de la position du centre de masse — semble presque flotter sur un plan horizontal, contrastant fortement avec le rebond marqué observable chez les coureurs moins expérimentés.

2. L’effet ressort

Le deuxième facteur crucial nous plonge dans un concept de biomécanique : la “raideur musculo-tendineuse” des jambes. Contrairement à ce que pourrait suggérer le terme “raideur”, il ne s’agit pas ici d’une limitation du mouvement mais plutôt d’une qualité biomécanique sophistiquée.

Imaginez vos jambes comme des ressorts de haute technologie : plus le ressort est “raide”, plus il est capable de stocker efficacement l’énergie lors de l’impact au sol et de la restituer lors de la propulsion. Les études montrent que les coureurs d’élite possèdent cette capacité à transformer leurs jambes en ressorts particulièrement efficaces. Cette caractéristique explique en partie pourquoi leur centre de masse reste si stable : leurs jambes absorbent et restituent l’énergie de manière optimale, minimisant les rebonds verticaux.

La combinaison de cette raideur optimale et de la stabilité du centre de masse explique à elle seule jusqu’à 12 % des différences d’efficacité entre coureurs (2). Un pourcentage remarquable quand on considère la complexité et la variété des facteurs influençant la performance.

3. L’architecture musculaire optimale

Le troisième facteur déterminant nous fait plonger dans l’infiniment petit de nos muscles : leur architecture interne et la nature même des fibres qui les composent.

Imaginez un muscle comme une ville : tout comme une métropole peut être organisée de différentes manières pour optimiser sa circulation, les fibres musculaires peuvent être agencées et composées de façon à maximiser leur efficacité énergétique. Les recherches révèlent que les coureurs les plus économes possèdent une “signature musculaire” particulière, caractérisée surtout par une proportion élevée de fibres à contraction lente.

Ces fibres, bien que moins puissantes que leurs homologues à contraction rapide, excellent dans l’endurance et l’efficacité énergétique. Cette caractéristique est particulièrement visible chez les coureurs d’élite d’Afrique de l’Est, notamment les Kalenjin du Kenya et les Oromo d’Éthiopie, qui dominent les compétitions d’endurance.

Ces athlètes combinent deux avantages physiologiques majeurs : une VO₂max exceptionnelle et cette architecture musculaire optimisée pour l’endurance et l’efficacité de la foulée. Par cet exemple, on comprend que l’économie de course dépend de la génétique en partie mais qu’on peut aussi l’améliorer par l’entraînement.

 

Tous les trois mois, le magazine Zatopek fait la démonstration qu’on peut parler de course à pied de façon surprenante, instructive, drôle et même émouvante quelques fois. À découvrir absolument pour tous ceux qui sont déjà coureurs. Et tous ceux qui ambitionnent de le devenir.

Partager sur

Laisser un commentaire

Dernières news